-
1. Fiche: le drame romantique
SYNTHÈSE : COMMENT DÉFINIR LE DRAME ROMANTIQUE ?
Au XIXe siècle, le drame romantique s’affirme comme une révolution par rapport à toutes les formes théâtrales qui l’ont précédées.
Il trouve ses origines dans :
- le drame bourgeois du XVIIIe + ses théoriciens
- le théâtre historique : drames et scènes
- la découverte de modèles étrangers
o la scène élisabéthaine et le théâtre de Shakespeare
le Sturm und Drang et le 1er romantisme allemand
o le siècle d’or espagnol
- le souhait d’un théâtre national conforme à la nouvelle donne de la société postrévolutionnaire
- la référence ou l’opposition à d’autres genres déjà constitués : la comédie et la tragédie classiques, la tragédie historique, le drame bourgeois, le mélodrame et la scène historique.
Les principales caractéristiques du drame romantique
(Anne UBERSFELD, Le drame romantique, pp. 17-26)
I/ La révolution dans les thèmes
MOT CLÉ = TOTALITÉ : le drame se veut peinture totale de la réalité des choses, des êtres, de l’histoire.
1) L’histoire
- la grande préoccupation des auteurs dramatiques = faire comprendre le présent (ou le passé immédiat) à la lumière du passé :
« S’il y avait un homme aujourd’hui qui pût réaliser le drame comme nous le comprenons, ce drame (…) serait le passé ressuscité au profit du présent ; ce serait l’histoire que nos pères ont faite confrontée avec l’histoire que nous faisons. » Victor Hugo, Préface de Marie Tudor
- double but :
o tenir la censure à distance
o montrer à l’œuvre les grandes forces qui régissent l’histoire.
- L’intervention de l’histoire constitue la différence radicale / drame bourgeois
- L’histoire a toujours été présente dans les récits théâtraux mais sa nature change :
o Elle cesse d’être l’histoire des conflits internes au pouvoir (ex Britannicus de Racine), pour devenir l’évocation du mouvement entier d’une société.
o L’histoire devient dynamique : elle ne dit plus le retour des mêmes conflits mais, au contraire, la manière dont se fait (ou ne peut se faire) un changement profond
§ L’accession de Cromwell au trône d’Angleterre (Cromwell)
§ Le changement dynastique qui fait passer l’Angleterre de Marie la Catholique à Elisabeth (Marie Tudor)
§ L’échec du duc de Guise sous Henri III (Henri III et sa cour)
§ L’assassinat inutile d’Alexandre de Médicis (Lorenzaccio)
- Le drame apparaît dès lors comme le miroir de la totalité d’une société :
o = montrer, comme Shakespeare, une histoire qui ne se fait pas seulement dans les antichambres des palais, mais dans les rues, dans les campagnes, chez les paysans, les artisans, les marchands - même parfois dans les mauvais lieux.
o = représenter toutes les couches sociales dans leur coexistence et leur rapport :
§ Le peuple est présent au couronnement avorté de Cromwell
§ Il apparaît dans les rues et sur les places de Florence dans Lorenzaccio, on y voit du même coup les conflits de groupes sociaux
o Il faut aussi des œuvres « totales », imposantes, riches en détails…
- Les conséquences :
o Le décentrement de l’histoire :
§ Le point central du récit n’est plus le roi, ni nécessairement le lieu où décident les puissants, mais ce peut être une obscure conspiration, une auberge de campagne où se prépare un attentat, une révolte paysanne…
§ On s’évertue à montrer la place des exclus : protestants, paysans, bannis…
o Un nouveau rapport au spectacle :
§ S’il faut montrer l’histoire comme une totalité et le tout de la société, la multiplicité des lieux devient nécessaire.
o La nécessité d’un récit qui respecte la « couleur locale »
§ Seule la peinture de la vie concrète du passé (vêtements, décors, armes, moeurs…) permettra au spectateur contemporain de penser sa propre histoire = apparition d’un certain réalisme historique
2) La passion
- L’amour devient une valeur, valeur quasi absolue : en face d’une société où règnent le mal et la corruption, l’amour est l’oasis, le lieu de toutes les positivités (Hugo, Vigny)
- L’amour est quasiment toujours montré dans une situation de conflit avec le monde, ses lois, ses contraintes, sa morale.
- Les contemporains se sont soit enivrés de cette valorisation de l’amour, soit l’ont condamnée comme immorale : l’innocente et pure Dona Sol (Hernani) traitée de « dévergondée » par un journaliste.
II/ La révolution dans les formes : la bataille contre les règles classiques
MOT CLÉ = LIBERTÉ : le drame se définit avant tout comme un renoncement au système classique des unités.
1) La multiplicité des lieux et l’allongement de la durée de l’action
- = faire voir l’impact des événements dans des milieux divers, faire voir en divers lieux l’origine des actes politiques…
- = assurer au récit une suite temporelle correspondant plus ou moins à la durée réelle des faits évoqués
- = recourir à la simultanéité (Lorenzaccio)
2) La révision de l’unité d’action
- L’unité d’action est ébranlée :
o Les trois conjurations dans Cromwell
o Le tressage des trois actions simultanées dans Lorenzaccio
- Mais l’unité d’action n’est pas supprimée, elle est vue à un niveau supérieur : l’auteur retrouve l’un à partir de la cohésion du multiple, la cohésion dans la dispersion // Shakespeare.
3) La division du texte en tableaux
- Les tableaux remplacent les actes ; ils sont les facettes successives de l’action
- Cette conception de l’action en tableaux, en images visuelles fortes, se rapproche de l’art pictural et satisfait le goût du XIXe siècle pour le spectacle:
« On doit considérer (…) le drame romantique comme un grand tableau, où sont représentés, non seulement des figures dans des attitudes variées et formant des groupes divers, mais encore les objets qui environnent les personnages, et même les échappées de vue lointaine, où l’ensemble paraît enveloppé d’un clair-obscur magique qui en détermine l’effet. » A. W. Schlegel, Cours de littérature dramatique, t. II « Treizième leçon »
4) Toutefois, les auteurs dramatiques sont acculés à une esthétique de compromis
- La question de l’unité de lieu = le point central des difficultés et des échecs du drame romantique.
- À propos de l’espace théâtral, le romantisme vit dans la contradiction :
o il veut montrer la matérialité de l’histoire, l’histoire concrète, l’histoire vécue,
o mais l’appareil théâtral décorativiste interdit de multiplier les changements de lieux et de décor
- S’ils ne veulent pas du compromis, les auteurs dramatiques sont condamnés à écrire pour une scène imaginaire ; du même coup, cette esthétique « imaginaire » leur permet d’écrire non plus par vastes tableaux, mais par petites séquences (moments isolés où se disent à la fois le mouvement et le simultané de l’histoire).
o = le « Spectacle dans un fauteuil » de Musset
o le « Théâtre en liberté » de Hugo vieillissant
o Kleist et Büchner écrivant, en Allemagne, pour la scène de l’avenir.
III/ Une révolution philosophique
MOT CLÉ = TRANSFIGURATION : le drame doit être l’épanouissement en une même création de la Nature et du Moi.
1) L’individualisme
- Après Rousseau, le drame romantique apparaît comme l’expansion d’une individualité forte :
o le temps du moi : le héros, placé au centre du récit, s’affirme comme sujet d’une conscience et d’une action ;
o le temps de l’homme seul : l’homme ne se sent plus solidaire, ni économiquement, ni affectivement, des autres hommes.
Individualisme : le statut de l’individu change à partir de la Révolution et du moment où la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fait de chaque individu un sujet (au sens philosophique du terme) dont les droits sont garantis. En même temps, le développement de l’industrie et des grandes métropoles laisse les individus soles en face de la société. De là le vouloir individualiste des sujets désireux de se battre chacun pour soi, d’exploiter sa chance personnelle. « Enrichissez-vous ! » sera la devise d la monarchie de Juillet. A quoi se surimpose l’image de Napoléon, héros « romantique » qui, seul contre tous, a mis sa marque au monde (voir par exemple Balzac, Le Médecin de campagne). Dans la même période, la politique conservatrice de la Sainte-Alliance en Europe, l’échec en France de la révolution « libérale » de 183, condamnent les artistes au désarroi en face d’un ordre de choses qu’ils ne peuvent ni combattre, ni même à la limite penser clairement.
Anne Ubersfeld, Le drame romantique, Belin, 1993
2) La figure colossale de Napoléon
- Le héros romantique est occupé à dresser « la pyramide de son être » comme le dit Goethe en pensant à lui-même.
- Le schéma type du drame romantique raconte l’histoire du héros qui affronte le monde, tente de le dominer et se brise contre ses lois (Hernani, Ruy Blas, Chatterton, Lorenzo, Kean…)
- Le drame romantique rejoint en cela la tragédie grecque :
o la confrontation du héros et de la cité (Œdipe) ;
o mais, ce n’est plus la cité, mais le héros qui est valorisé dans son échec même, par la force de son vouloir, par la qualité de son amour – en face d’un monde dépourvu de valeur.
3) Le drame romantique rejoint le mythe
- le mythe de Don Juan (Dumas)
- le mythe des Atrides (Lucrèce Borgia de Hugo)
- le mythe de Caïn (Les Burgraves de Hugo)
4) Le changement dans la psychologie des personnages et du héros (Fiche Héros R)
- Le héros est montré fragile : l’unité de son moi est mise en péril et les motivations de son action ne sont pas toujours transparentes.
- Les obscurités quant à la psychologie du personnage ouvrent la voie aux lectures de l’inconscient (Freud)
- L’un des grands enjeux des auteurs romantiques = montrer les personnalités en état de danger, d’éclatement imminent :
o Hernani, grand seigneur et bandit, amoureux et soldat
o Ruy Blas, laquais et amoureux d’une Reine
5) La présence du grotesque
- Le grotesque ne se réduit pas au simple mélange du comique et du tragique, pas même à la présence de la mort (ce que veut le critique Bakhtine) ;
- Il est la mise en question nécessairement humoristique de l’unité et de la permanence du moi, dont les incohérences, les contradictions internes, provoquent à la fois le sourire et la compassion.
Le drame romantique « se constitue ambitieusement comme un genre synthétique, capable de rendre compte de la totalité du réel historique et contemporain. » Florence NAUGRETTE, Le Théâtre romantique, 2001 (p. 21)
Les principaux représentants du drame romantique
OEUVRES
THÉORIES
1809
1823
1825
1827
1829
1830
1831
1832
1833
1834
1835
1836
1838
1843
1864
Prosper MÉRIMÉE : Théâtre de Clara Gazul
Victor HUGO : Cromwell
Alfred de VIGNY : Le More de Venise
Alexandre DUMAS : Henri III et sa cour
Victor HUGO : Hernani
Victor HUGO : Marion Delorme
Alexandre DUMAS : Anthony
Alfred de VIGNY : La Maréchale d’Ancre
Alexandre DUMAS : La Tour de Nesle
Victor HUGO : Marie Tudor
Victor HUGO : Lucrèce Borgia
Alfred de MUSSET : Les Caprices de Marianne (publication)
Alfred de MUSSET : Lorenzaccio (publication)
Alexandre DUMAS : Catherine Howard
Alfred de VIGNY : Chatterton
Victor HUGO : Angelo, tyran de Padoue
Alexandre DUMAS : Kean
Victor HUGO : Ruy Blas
Victor HUGO : Les Burgraves
Benjamin CONSTANT : Réflexions sur la tragédie de Wallenstein et sur le théâtre allemand
STENDHAL, Racine et Shakespeare
Victor HUGO : Préface de Cromwell
Alfred de VIGNY : Lettre à Lord***sur la soirée du 24 octobre 1829 et sur un système dramatique
Victor HUGO : Préfaces de Marie Tudor et Lucrèce Borgia
Victor HUGO : Préface de Ruy Blas
Victor HUGO : William Shakespeare
Littérature, Textes et documents, Nathan IXe, p. 118
-
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment
Ajouter un commentaire